Monsieur

img_1272.jpgCe matin c’est Patrick Cohen qui m’a annoncé votre mort. Bien sûr à 92 ans, elle était plus probable que celle de pas mal d’autres … Mais quand même, ça m’a fait quelque chose. Vous étiez l’incarnation de l’esprit. Des mots d’esprit. Je me demande qui, qui disséminera dorénavant ces petites piques avec classe à propos de nos politiciens. De notre déplorable actualité. Qui posera désormais ce regard si bleu et si clair, mais si critique et bienveillant sur notre société et ses excès. Qui sera maintenant le respectable garde-fou de notre asile. Qui  commentera tout ce cirque avec humour, malice et respectabilité… Ce n’est plus Toi. Toi tu vas simplement regarder tout ça d’un peu plus haut, d’un peu plus loin. Sûrement rigoleras-tu avec cet autre grand Jean, qui t’a devancé de quelques semaines. Ensemble vous ferez probablement marrer Simone, et Jeanne passera par là… ça fumera des clopes et boira du bon vin, en se disant « tout ça pour ça ». Finalement vous êtes mieux là haut tu sais…  Apparemment dans pas trop longtemps Johnny montera vous allumer un feu de tous les diables, ça fait un moment qu’il le prépare.. Je me demande si en arrivant il va dire « Je ne suis qu’un fou, qu’un fou, un fou d’amour, Un pauvre fou qui meurt, qui meurt d’amour. » . Essaie de voir quand même, maintenant que tu es là haut, si on peut mourir d’amour, je me pose la question, sur doctissimo ils n’en parlent pas. Tu crois toi ? Excuse moi, je te dis tu, mais tu sais si j’avais un jour eu la chance, que dis-je l’honneur de te rencontrer, je t’aurais donné du vous. Même du Vous avec un V majuscule. Et je ne t’aurais pas parlé de Doctissimo. Tu fais partie de ces gens qu’on ne peut pas tutoyer en vrai. Mais maintenant on s’en fout. Le tu, le vous. Toi l’académicien, toi l’amoureux de la langue. Tu me dirais que non, on ne s’en fout pas. Que chaque mot à son importance et qu’on ne peut pas en faire n’importe quoi. Et tu as tellement raison Jean. Enfin, vous avez tellement raison, Monsieur. Les mots c’est tellement chouette que tu peux faire ce que tu veux avec. Les mots c’est la plus belle arme. Les mots c’est la plus belle caresse. Les mots c’est le plus beau spectacle. Les mots c’est la plus belle toile. Les mots c’est le plus grand lien. Les mots c’est gratuit. Les mots c’est partout. Les mots c’est tout le temps. Les mots ça reste. Je suis de celle qui les garde. Qui les colle. Qui les écrit avec un vrai stylo.  Je suis de celle qui les lit. Je suis de celles qui aimerait en écrire plus. Je suis de celles qui aimerait en lire plus. Je suis de celles à qui les vôtres vont manquer. 

Vous étiez le grand jumeau de l’être humain qui m’est le plus cher au monde, celui que j’ai fabriqué. vous étiez né le même jour que lui. Ou plus exactement il est né le même jour que vous. Hasard du calendrier. Ou pas. Peut-être a-t-il choisi son étoile avec goût et intelligence… Moi je le crois.

Je me demande si vous aviez préparé un épitaphe.. une épitaphe? Vous voyez les mots… parfois on ne sait pas. Et c’est aussi ça qui est chouette. Vous pensez que sur votre pierre tombale ils vont mettre « Il manquera à tou-t-e-s »? (T’inquiète, si ils osent, je viens rectifier moi-meme. #inclusivetamère) Et dans un registre un peu plus sérieux, j’espère que votre titre d’Immortel n’était pas usurpé, et que vos mots resteront éternellement gravés. Vous nous laissez tristes de ne plus vous savoir éveillé, veillant, bienveillant. 

Allez, bisous.

PS : si vous croisez un gros canadien qui s’appelle René, dites lui que tout va bien, Céline est BEAUCOUP plus drôle maintenant!

13XI

Y a des jours comme ça.

La c’est un lundi.

C’est souvent pourri le lundi.

Toute la nuit le vent a soufflé.

Soufflé fort. Soufflé froid.

Ce matin le ciel est tombé.

Tombé mouillé. Tombé glacé.

Suis arrivée au bureau trempée. Frigorifiée.

Fait un café. Long.

Sans sucre. Chaud. Trop chaud.

Allumé l’ordinateur.

Commencé la journée.

Et dans ce coin en haut à droite

Survolé l’heure.

La date apparaît.

Et au dessus d’elle ce petit drapeau français.

13 novembre.

Treize novembre.

Bleu blanc rouge.

J’aime pas le lundi.

J’aime pas ce lundi.

Il est encore plus gris.

Il est encore plus moche.

Il faut se souvenir.

Si. Il le faut.

Toujours.

De ces gens.

De ces gens vivants.

De ces gens beaux.

De ces gens souriants.

De ces gens partis.

Partis un soir de chez eux.

Et jamais revenus.

Partis direct après le boulot.

Pas repassés à la maison.

Pas fait un dernier bisou.

Pas serré une dernière fois.

Assis à cette terrasse.

Debout à ce concert.

Et partis.

Partis trop tôt.

Partis au nom de quoi.

Partis au nom d’on ne sait toujours pas.

Partis avec notre insouciance.

La folie des uns a muselé celle des autres.

On a mûri en une nuit.

Et on doit vivre sans vous.

Vous qu’on ne connaissait pas.

Vous qu’on n’aurait jamais connu.

Vous qu’on ne connaîtra jamais.

Paradoxal, aujourd’hui vous m’avez manqué.

Si vous aviez été là, debout, mon lundi aurait été moins moche.

En fait ça fait 2 ans que vous nous manquez.

Et Ça fait déjà 2 ans qu’on arrive à se lever tous les matins.

Parce que « la vie continue » paraît-il.

Ouais. Mais pas pour tout le monde.

Ce soir je vais aller le coucher.

Me frayer un chemin entre les playmobils et les legos.

Et pour tout ça ce soir je vais le serrer.

Plus fort.

Encore plus fort.

Je l’aime pas plus à cause de votre absence vous savez.

Mais je me rends compte de ma chance.

Et Je sais que de la haut vous veillez.

Vous veillez sur tous ceux que vous aimez.

130 étoiles de plus.

Ce soir planquées derrière les nuages.

Je vous verrai demain.

Ou un autre demain.

Je tombe souvent sur vous.

Ma journée a été assombrie,

Mais de là haut, vous éclairez mes nuits.